L'Alphabut : la lettre M, comme manager

Dirk Diederich
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L'Alphabut  : la lettre M, comme manager
Photo: © SC

Dupk reprend son Alphabut à la lettre M, M comme manager, comme margoulin, comme mange dans ma main. Ce chapitre étant particulièrement long, il sera publié en trois parties.

M comme Manager, margoulin, mange dans ma main

Les clubs de football ont vécu. Clamsés de leur belles morts, les voilà transformés désormais en vitrines, pas en vitrines à putes, mais à footballeurs où les macs, -décidément, toujours cette lettre M !, les placent, à mille balles la passe.

Le football est devenu un show. On y va comme on va à Kinepolis. Les chopes remplaçant les paquets de pop corn. La passion n'a pas disparu. Elle est autre. Plus virtuelle. Le joueur de foot n'est plus une bouille toute ronde sur une vignette de Panini. Mais il a dorénavant le visage comme l'un des zéros du billet qui met sa tête à prix. Il n'est plus le mythe du quartier, de la ville. Le héros d'une rue, d'un terrain vague, d'une région. Il n'est plus que de passage. Un employé éphémère. Un intermittent du spectacle. Un caissier du supermarché du foot. "Monsieur Lukaku est demandé caisse onze"! Il encaisse la monnaie. Mais les vrais bénefs vont ailleurs absorbés par le cylindre aspirateur de l'argent fou.

Les joueurs et les entraineurs suivent des circuits tout tracés, balisés aux évidences. Tournée manager. Le plus souvent possible. Un bon joueur est un joueur volage, libertin qui passe de clubs en clubs. Volià l'image de la modernité qui bouscule le supporter désormais en manque de repères.

L’agent de joueur, c’est l’impressario de ce monde du spectacle. Il n’a rien inventé. Ni la poudre, ni l’eau chaude. C’est un commercial comme on dit dans ce monde de business. Un type qui paie de mine et qui vend. Un représentant. Le représentant de commerce dans toute l'acception du terme. Le véritable agent, l’authentique, celui qui a ça dans le sang, vendrait jusqu’à sa mère. Mais il peut laisser sa mère au placard. Le commerce de ses fils de buts lui rapporte assez que pour se contenter de receler ces teenagers, ces ados, ces jeunes hommes naïfs nés de la dernière pluie dans un monde de sècheresse.

Le manager est homme de mille vies, de mille séductions, de mille facettes. Il est sourire, tantôt de sympathie, tantôt de carnassier. Cynique, il connait les mécanismes de la générosité sur commande. Il n’ignore rien des rouages des clubs, des alchimies des contrats, des ficelles qui articulent les pantins de la Comédie Humaine du football. Il est un Rastignac roublard et sans scrupule. Il manie les strass et les paillettes.

Les directions des clubs le cernent bien, ne sont jamais dupes. Il est un moindre mal. Un alter ego. Il est le complice d’une partie de poker où plusieurs gagnants se partageront la mise. Atout trèfle à quatre feuilles de la grande suite des petites combines.

Certains clubs, la plupart, en vivent. Cachetonnent sur ce commerce. Les mercatos ne sont pas signe de vitalité, de saine agressivité, d'ambition : regardez les mouvements des noyaux de nos clubs et vous aurez l'idée du volume de la cerise sur le gâteau que certains dégustent.

L'agent fait désormais la pluie et le beau crachin. Il fourgue ses marchandises, refile ses stocks, donne dans l'audace, prêt à défaire d'autres deals passés antérieurement. Il prend le contrôle des clubs. Il les bouffent comme la mante religieuse qui dévore son futur cocu magnifique.

Mai 2008

Je me retrouve dans le train avec Volodia. Nous sortons d'un entretien avec un dealer de Mercedes à Jupille qui est prêt moyennant finance à nous obtenir une "audience" auprès de Lucien D'Onofrio. Mais nous ne donnons suite à sa proposition. Nous avons rendez-vous à Malines et à Gand. Le trajet traine en longueur. Volodia m'agace. A plusieurs reprises, j'ai failli le laisser sur place, lui tourner définitivement le dos. Je l'avais rencontré lors des négociations au FC Brussels. Il y vendait Valery Sorokin.

"T'aimes pas ça, visiblement" me dit l'agent russe. "Moi non plus. Mais faut prendre ça comme un jeu. Il y a du pognon sur la table et l'art, c'est d'en empocher le max, c'est de tenter d'aller jusqu'à un millimètre du point de rupture. Car en face, dis-toi bien qu'ils raisonnent comme moi".

Sa voix est lasse. Le regard éteint. On récapitule. "Tu traduis. Traduis tout. C'est très important.". Je l'écoute, agacé. "T'as téléphoné à Mogi Bayat? On le voit quand?". Nous bavardons. Il connait par coeur mes réponses. Je connais le catalogue de ses questions. "On voit d'abord Malines. Demain, on va à Gand. Il est comment Louwagie?". Et moi de répéter inlassablement : "Un type curieux. Je l'ai eu en ligne pour Valery, le rendez-vous a été immédiatement fixé, puis, il m'a questionné sur des tas de joueurs du Brussels". Volodia s'éveille. Rit franchement. "Tu vois : il pense commerce, il s'informe sur les stocks, ses futurs stock-options. Et qu'as-tu répondu?".

Nous retrouvons Valery à la gare de Malines. Il nous attend avec la Smart Forfour qu'il vient de s'acheter. Nous arrivons au stade de Malines. La pelouse est encore plus fatiguée que nous. Les vieilles tribunes respirent l'histoire. Il y a là un parfum de stade vétuste d'Europe Centrale. L'après-midi touche à sa fin. Nous avons rendez-vous avec Fi Van Hoof et Peter Maes. Nous gravissons l'escalier qui nous emmène dans la pièce où les Malinois nous attendent. Mais ils ne sont pas seuls. Brahima est là. Gêne. Volodia durcit son regard. Fi Van Hoof tente de comprendre. "Deux agents pour un joueur, ça va être difficile" sourit l'âme des sang et or anversois. "Je suis l'unique représentant de Valery Sorokin. Je suis un agent reconnu par la FIFA, moi" s'emporte Volodia. "Nous n'avons aucune relation avec ce monsieur" ajouta-t-il en désignant de façon méprisante Brahima, l'homme qui six mois auparavant avait noué pour lui les contacts préliminaires avec le Brussels. Brahima s'éclipse. La discussion peut commencer.

Maes est taillé dans du roc. Jusqu'à sa voix, tout est rocailleux chez lui. Minéral. Solide. Il impose. A ses côtés, Fi Van Hoof est taillé à la nuance, frêle, presque fragile, même s’il y a en lui ce feu de chaleur humaine qui en fait une espèce d’Auvergnat de Brassens. Il invite à s’asseoir. Il met à l’aise. Le petit homme dirige la manoeuvre. Explique. « Nous avons suivi Valery à cinq reprises. Il nous plait » commença Van Hoof. Je traduis. Je suis intimidé. Fi Van Hoof, pour moi, c’est un monument. C’est l’immense bonhomme de l’épopée malinoise. J’en avais fait l’apologie à Valery et à Volodia lors de nos discussions à Bruxelles. « Je pense, ajouta-t-il, que Malines a tout pour permettre à Valery d’exprimer son talent ».

Maes intervient alors. Dit qu’avant de poursuivre ou non l’entretien, Valery doit se prononcer sur son système de jeu qu’il lui explique à l’aide d’une feuille de papier et d’un feutre. Le jeune Moscovite acquiesse, tout étonné qu’un entraineur lui demande de juger de sa tactique. Maes, énergique, se redresse et déclame fermement : « J’ai mon système. J’ai mes règles. Tu les acceptes, c’est bon. Tu rechignes. T’as plus ta place. C’est clair ? »

Mon ami, du haut de ses vingt-trois ans opine de la tête. Heberlué.

Fi embraie. « Si t’es d’accord, nous pouvons commencer à parler contrat » renchérit-il. Valery sollicite la permission de quitter les négociations, de laisser son agent régler les détails contractuels. « Je suis joueur de football. Les questions d’argent ne m’intéressent pas trop ».

Van Hoof, le directeur sportif du Malinwa sort un contrat type que je m’empresse de traduire à Volodia qui sursaute. Eclate d’un rire mauvais, caricatural, à la limite de l’impolitesse. Il faut le voir, lui l’ancien boxeur, l’ancien dirigeant de la fédération olympique russe de boxe. Un homme tassé et robuste.

Les Sang et Or proposent près de six mille euros nets par mois. « J ‘espère que c’est une plaisanterie, balança Volodia. Valery a accepté de jouer pour un salaire de misère au Brussels, car il voulait d’abord se faire connaitre. Mais là, ça suffit. Il ne jouera pas deux fois au rabais». J’atténue dans ma traduction néerlandaise la sècheresse des propos de l’agent en rajoutant que Sorokin gagnait jadis bien plus en Russie.

J’imaginais que les Malinois éclateraient, offusqués, scandalisés, suffoqués. Mais non ! Van Hoof respire la sérénité malicieuse. Calmement, il suggère à l’agent de faire à son tour une proposition. Volodia demande une feuille de papier et un stylo à bille. Maes retourne la feuille qu’il avait griffonnée de ses schémas tactiques pour la lui tendre avec son feutre. L’agent note des chiffres et les complète de brèves explications. Il sort une calculette, dresse l’addition et écrit douze mille quatre cents.

Fi Van Hoof, impassible, mais sans froideur, rétorque : « Si c’est un montant brut, on est d’accord ». Mais mon comparse sans attendre ma traduction hoche la tête et y va d’un « Niet, nets ». Je précise à mon tour : « Il demande douze mille quatre cents euros nets ! ». Van Hoof et Maes se regardent. Nous sommes rejoints par le trésorier du club qui regarde le calcul du Russe. « Impossible ! Arrêtons la discussion ! Ou alors écoutez moi ! On peut augmenter certains postes ! Le logement, la voiture, une indemnité nourriture, les frais d’essence, les charges diverses. On peut les prendre à notre compte. Mais douze mille euros nets, jamais ! Malines veut une gestion saine, pas de folies ! ».

Volodia tend les traits de son visage. Son regard se durcit pour autant que ce fut encore possible. Il se tait. Van Hoof, Maes et le trésorier se taisent également. Le silence pèse.

Mais qu’est-ce que je fous ici ?

Soudain, le trésorier sort une nouvelle proposition. Avec le Fonds de pension, le contrat dépasse de peu les dix mille euros nets. L’agent fait la moue. Hésite. Réfléchit. Et soudain décide de s’assouplir. « Je vais en parler à Valery. Peut-être arriverai-je à le convaincre » ajouta-t-il sur un ton étrangement conciliant. « Et mon travail, comment le gratifierez-vous ? » s’enquit enfin Volodia. Fi Van Hoof répondit aussitôt : « En Belgique, il y a des lois. L’agent du joueur perçoit sept pourcents de son contrat  ».

L’entrevue s’achève. J’ai l’impression de terminer sur une bonne note. Malines propose un contrat de trois ans. Volodia n’en demande que deux. Et réserve sa réponse pour le lendemain.

Nous retrouvons Valery dans sa voiture. Vladimir, -(Vlad c’est régner, mir, c’est le monde et Volodia, c’est le diminutif de celui qui règne sur le monde)-, explique la discussion que nous avons eue avec la direction malinoise. Valery écoute. Il a été sensible aux gestes prévenants des Malinois.

Je vois Valery déjà en jaune et rouge. Pour moi, le rendez-vous du lendemain à Gand est superflu. Je ferme les yeux. Je me vois supporter malinwa. Chanter à m’époumonner. Les gens de Malines, Fi Van Hoof et Peter Maes m’ont subjugué. Quel contraste par rapport aux négociations six mois plus tôt avec Johan Vermeersch, le président du Brussels.

Je me revois dans son bureau à Molenbeek avec Valery et Volodia. Les négociations avaient débuté à vingt-deux heures. Elle se poursuivirent d’abord jusque une heure du matin. Volodia avait obtenu au terme d’interminables discussions trente cinq mille euros nets pour cinq mois. Alors que je pensais la réunion terminée, j’étais crevé, j’avais travaillé toute la journée de huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir, tout à coup, on joua les prolongations.

L’agent de Valery dit que son joueur avait vécu à ses frais durant la durée du test au Brussels, c’est à dire près de vingt jours. Il demandait si le club ne pouvait pas le défrayer. Vermeersch se renfrogna. Demanda combien il voulait. Vladimir effectua un rapide calcul de multiplication pour solliciter mille deux cents euros, soit cinquante-cinq euros par jour. Le président du Brussels s’empara du papier et après avoir sorti son porte-plume de sa poche, barra ce montant, et écrivit mille euros à la place.

(A suivre : vendredi soir, troisième et dernière partie de la lettre M)

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