Interview Jessica Keszler, chroniqueuse de Studio 1, à coeur ouvert

Fabrice Salembier
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Jessica Keszler, chroniqueuse de Studio 1, à coeur ouvert
Photo: © SC

La passion au féminin...

Le football a toujours été reconnu comme un facteur d’intégration sociale et culturelle… A contrario, les actes de xénophobie et de racisme tendent à augmenter dans les stades… quel est votre sentiment à cet égard ?

Les actes de xénophobie et de racisme n'ont jamais fait partie de mon foot, c'est quelque chose que je déplore et qui m'irrite au plus haut point. Je considère que cela n'englobe pas seulement les propos insultants visant les joueurs "de couleur": les sifflets durant un hymne national, les chants à la poésie douteuse sur les Wallons ou autres, les gestes irrespectueux dans les tribunes, tout ça fait partie d'un climat haineux qui ne devrait pas flotter autour d'un terrain de foot. Vous savez, ma passion est née en 1983. Cette année-là, j'ai assisté à mon premier match de foot et ensuite, il m'a fallu attendre 3 ans avant que mes parents ne me permettent de remettre les pieds dans un stade, parce qu'en 1984, il y a eu de sérieux incidents à Rome (rencontre opposant l'AS Roma à Liverpool) et en 1985, le drame du Heysel. On ne devrait jamais avoir peur d'emmener un enfant au foot. Ce sport est non seulement un facteur d'intégration sociale et culturelle, mais aussi et surtout une source d'émotions, une occasion de faire la fête, de s'amuser en rencontrant des gens qui vivent une seule et même passion: celle du ballon rond!

Ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’un problème d’éducation ? Le respect n’existe pratiquement plus dans la société actuelle… en tant qu’enseignante comment ressentez-vous cela ?

Cette question me tient particulièrement à coeur, parce qu'elle touche à l'enseignement, qui est également, une passion au quotidien. Dans l'absolu, j'ai la chance de ne pas avoir à me plaindre de la relation élèves-prof, parce qu'entre nous, le contact passe généralement très bien. Toutefois, tous les enseignants constatent que le crédit et le respect, qui leur étaient accordés jadis, sont en train de s'éteindre. Comment voulez-vous inculquer la notion de respect à un enfant, quand certains parents ont des réactions hallucinantes? Dans le monde d'aujourd'hui, il n'est pas rare que des parents fassent preuve d'une agressivité incroyable: ils contestent une sanction, excusent régulièrement les travaux non faits, se prennent parfois pour des inspecteurs qui vont vous expliquer comment vous devez évaluer... Tout ça, devant les enfants qui sont, bien souvent, plus gênés qu'autre chose, mais en attendant, quel "pouvoir" voulez-vous qu'on ait encore? Je vous donne un exemple qui respire le vécu: quand un père se cure les dents devant vous à la réunion de parents et qu'il envoie des sms pendant que vous lui parlez de la situation scolaire déplorable de son enfant, vous relativisez immédiatement l'attitude du gamin en classe! En outre, comment en vouloir aux parents quand nos politiciens usent de mensonges honteux pour nous décrédibiliser? La semaine dernière, j'ai entendu partout que les enseignants refusaient de travailler au maximum de leur plage horaire de 22h/semaine. Sachez que c'est le nombre d'heures de cours que je donne (au minimum) depuis huit ans. On nous fait passer pour des "feignasses" aux yeux de l'opinion publique et personne ne parle de tout ce que l'on se doit d'accomplir après l'école: préparations, corrections, conseils de classes et j'en passe... Parce que mon métier, je l'aime et je remplis ma tâche avec autant de passion que lorsque je m'épanche sur une rencontre footballistique. Je n'envie pas le salaire des autres secteurs d'activités ou leurs avantages et je pense que si notre condition de prof était si facile et envieuse, nous ne connaîtrions jamais la pénurie. Hors, c'est loin d'être le cas.

Du banc de l’école, vous passez sur le terrain de Studio1 ; trajectoire assez particulière, comment en êtes-vous arrivée là ?

Vous me faites sourire car cela me fait penser à la réaction des pères de mes élèves, quand les adolescents ont hurlé devant la télé que "la chroniqueuse blonde" était surtout leur prof de français. Ces messieurs ont demandé à leurs enfants d'arrêter de raconter des bêtises et de retourner à leurs devoirs... Pourtant, l'aventure Studio 1 est bien devenue ma plus belle réalité de femme, même si j'éprouve encore des difficultés à réaliser ce parcours assez incroyable mais authentique. D'origine italienne du côté maternel et fille d'un père qui a arbitré 20 ans en provinciales, j'ai très vite été en contact avec les terrains de foot du pays. Je suis passionnée par le foot depuis mes 5 ans et depuis toute petite, je me lance des défis destinés à vivre pleinement cet amour débordant. Durant mon enfance et mon adolescence, j'écrivais aux joueurs, puis aux rédactions sportives, dans le seul but d'échanger un point de vue, de défendre une prise de position et de m'éclater à ma façon, parce que l'écriture, cela a toujours été comme une seconde peau. En rhéto, j'ai eu l'occasion de concilier mes deux passions, en devenant la rédactrice sportive du journal de l'école. A la fin de mes humanités, il m'a fallu choisir une future orientation professionnelle et cela a été l'enseignement du français, pour transmettre ma soif d'écrire aux adolescents. J'ai toujours eu tendance à me remettre en question et même si je rêvais du journalisme sportif, je craignais d'éteindre les étincelles d'enthousiasme de ma plume, dans le polaire des communiqués laconiques. Par exemple, je n'aurais pas supporté d'écrire des faits divers ou de rédiger des articles purement informatifs. Alors, je me suis dit qu'en devenant enseignante, je pourrais continuer à vivre pleinement toutes mes passions au quotidien. C'est d'ailleurs pour cela que le foot a aussi sa place sur les bancs de notre école. Dans notre salle des profs, j'ai installé un tableau sur lequel j'affiche des billets d'humeur footballistiques, des poèmes, des chansons ayant pour thème les joueurs du week-end... Le départ de "ce délire" remonte à il y a 3 ans et a fait suite à la demande de mes collègues masculins. Bien avant qu'on ne parle d'une présence féminine à Studio 1, ces gars-là m'ont encouragée à postuler et je leur répondais qu'ils étaient finalement encore plus dingues que moi. Pourtant, en 2007, quand un téléspectateur a suggéré à Michel Lecomte d'intégrer une femme dans l'équipe, ils n'ont pas eu à me dire: "Fonce!"... J'ai réagi spontanément en envoyant un simple mail expliquant comment je vivais le foot et ce que les émissions de la RTBF avaient toujours signifié pour moi, sans oublier cette équipe incroyable que je suivais chaque lundi soir, avec la même ferveur. J'ai appris, il y a peu, que j'étais la première à avoir effectué une telle démarche et je vous assure que lorsque je me suis retrouvée devant Michel Lecomte pour la première fois, je n'en menais pas large. Cela remonte à deux ans et pourtant, je ressens toujours la honte de ce jour-là... Je me demandais comment j'osais me présenter devant un tel journaliste sans qualification autre que mon réel vécu footballistique (qui n'en demeurait pas moins pitoyable, en comparaison du sien...). Mais bon, j'étais là à sa demande et l'aventure a démarré: réalisation d'un DVD amateur avec mes amis profs, envoi de textes chaque semaine pendant un moment et au bout de 24 mois, la convocation au casting. Au programme, une fausse émission: une chronique à présenter devant Michel Lecomte et Stéphane Pauwels et le célèbre Que oui que non de Benjamin Deceuninck. Un pur moment de bonheur... Je l'ai vécu à fond en me disant:" Tu ne revivras sans doute jamais ça..." mais j'avoue que ce jour-là, j'ai déposé un souhait de petite fille en caressant le divan et en lui murmurant: "Si tu savais comme je rêve de te retrouver un jour..." Peut-être que l'équipe a entendu ce message, au moment d'effectuer son choix, qui sait... (Rires)."

Des sommes folles sont dépensées dans le monde du ballon rond et l’on tente de rogner les moyens du monde de l’éducation… N’y a-t-il pas là un problème de taille ?

Bien sûr, qu'on veuille faire des économies dans un milieu comme l'enseignement est un problème de taille, parce qu'il faudrait, au contraire, investir et nous donner davantage de moyens, de cartes pour affronter la réalité scolaire. Là, encore, nous faisons face à des promesses non tenues et à des demandes incohérentes: les autorités politiques et l'inspection mettent en avant la pédagogie différenciée permettant à chaque élève de combler ses lacunes de façon individualisée. Hors, cela nécessite des heures et donc, des professeurs supplémentaires. Mais dans une école comme celle où j'enseigne, si vous faites passer la dizaine d'enseignants en français, mathématiques et en langues étrangères au maximum de la plage horaire, ce sera une perte d'emploi pour un jeune collègue et ce, dans chaque discipline. Autre exemple: il y a deux ans, on nous promettait un certain nombre d'ordinateurs dans nos classes, afin de nous permettre d'enseigner l'orthographe, la conjugaison et de remédier aux lacunes en lecture, grâce à de nouveaux logiciels. Nous avions émis de sérieux doutes quant à la concrétisation de ce projet idyllique et les tendances actuelles démontrent que les enseignants demeuraient simplement réalistes.

En ce qui concerne l'argent engendré par le foot, il est clair qu'en regardant la situation du Real de Madrid, entre autres, il y a de quoi être écoeurée mais pas en tant qu'enseignante, en tant que femme qui vit d'autres réalités de crise économique, tout simplement. Nous n'avons pas d'emprise sur cette surenchère. Par contre, nous en avons par rapport aux idées et aux valeurs que le foot peut véhiculer quand on vit sa passion de façon noble et positive. Là aussi, il faut investir mais de façon à généraliser le respect de l'autre dans les stades, à faire du foot un terrain de vie où l'éducation a aussi sa place. C'est pourquoi, j'ai apporté mon soutien à Footattitude. Ce projet est doublement important à mes yeux, parce que j'y retrouve des objectifs d'enseignante et de passionnée de foot. Quand on donne cours, on ne doit pas uniquement sanctionner, il faut être capable d'encourager, de mettre les progrès en avant, etc. Footattitude fonctionne de la même manière: ce n'est pas synonyme de répression mais de célébration. On met en avant les initiatives colorées par le fair play, on valorise le geste sympa et je trouve extraordinaire de pouvoir transmettre les notions essentielles de ce sport que nous aimons tellement.


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