La chronique de Dupk

Olivier Baute
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La chronique de Dupk
Photo: © SC

Cheikho Kouyate ou la leçon de vie

Moi l’anti mauve viscéral qui tient le machin de St-Guidon pour le fossoyeur du football belge, moi qui éprouve pour ce club la sympathie que peut ressentir la grenouille pour l’arracheur de cuisses de batraciens, moi l’anti-morgue radical qui se réjouit de chaque déconvenue de ces fins de lignées purpurins, moi le Tubizien extatique qui a été aux anges comme d’autres vont aux filles de joie lors du faux pas au Stade Edmond Leburton en mai dernier des histrions pathétiques de Roger Vanden Stock, moi qui tout à ma mauvaise foi radieuse perçoit Mbark Boussoufa comme un nain de jardin de Mini-Europe et Ariel Jacobs comme la catastrophique Céline Dion de la fraterie des entraineursde notre football, voilà que je craque pour Cheiko Kouyate, ce jeune Sénégalais dont le talent déborde du sarcophage  étroit posé comme un étron aux abords du Parc Astrid.

 

Moi dont les grands souvenirs jubilatoires se nomment Weder Bremen 93 en Champion’s League et Westerlo 98 et 2000 en Jupiler League, je suis désormais les compositions d’équipe des rescapés d’Halloween et quand j’y repère le nom de Cheiko, me voilà pris d’une soudaine et inédite indulgence. La haine rabique fait place à une indifférence caustique, à un adoucissement miraculeux de mes sarcasmes. Car Cheiko Kouyate a ce pouvoir, lui, jeune homme droit comme un i avec un talent énorme posé comme un point sur ce i. Je me surprends parfois à regarder des matchs de son équipe (certes sur un vieil écran noir et blanc pour ne pas devoir infliger le mauve à mes yeux sensibles). Si le garçon n’avait de l’humour, jamais je n’aurais osé exprimé cette hagiographie au service d’une figure emblématique qui dépasse le simple joueur de foot..

 

Cheikhou, je l’ai cotoyé quelques mois du temps où il évoluait au FC Brussels, j’y ai croisé maintes fois un jeune homme de 17 à 18 ans qui avait quitté son Dakar natal pour venir tenter sa chance en Europe. Le garçon était déjà droit dans ses bottes, lucide, d’une maturité rare pour un garçon de cet âge. Et heureusement d’ailleurs. Et en exergue de sa page sur Facebook, il nous prévient : '' Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens.'' Ce qui nous permet de mieux comprendre son parcours bâti sur une ténacité exemplaire qui devrait être enseignée dans toutes les écoles.  

 

Je l’avais à l’époque interviewé. C’est non sans quelque nostalgie que je relis ces extraits de notre conversation.

 

Extraits

 

Comment débouche-t-on au Brussels quand on vient du lointain Sénégal ?

Un manager m’avait suivi dans mon club l’ASC Yeggo J’y évoluais dans l’équipe des juniors. L’ASC Yeggo est un petit club de D3 au Sénégal. Il m’avait proposé d’aller en Europe pour gagner ma vie. Il avait ses entrées au FC Brussels. Une telle proposition, il était inimaginable de la refuser. La situation en Afrique est telle que cela ne demandait même pas réflexion. Au moment même, j’ai pris ça comme un miracle. Tous les jeunes, tous les joueurs de football rêvent d’un jour pouvoir venir en Europe...

 

La raison est-elle économique ou y a-t-il encore d’autres raisons ?

Elle est principalement économique. En Afrique, le football est un football amateur. Le football professionnel n’y existe pas. Alors, si un jeune veut vivre du football, il n’a qu’une seule solution, c’est de partir en Europe.

 

A ton arrivée, comment s’est passée ton acclimatation?

Elle fut vraiment très difficile. D’abord au niveau climatique. J’ai quitté le Sénégal quand il y faisait tous les jours des températures de 30 à 34 degrés pour débarquer ici où le thermomètre affichait tout aussi régulièrement des températures négatives. Cela n’a l’air de rien ce changement, mais il est considérable.

 

Le fait de partir à l’âge de 17 ans de chez toi, de quitter ta famille et de te retrouver seul dans une ville lointaine ne devait pas être évident à vivre, non ?

C’est le moins qu’on puisse dire. Dès la fin janvier, j’ai été trouver mon manager pour lui dire que je voulais rentrer au Sénégal, retrouver ma famille qui me manquait énormément. En Afrique, on s’imagine qu’en Europe tout est facile, que tout coule de source, qu’on y mène une vie de rois. Mais quand t’es ici, tu te rends compte que ce n’est pas du tout le cas. Ici, j’avais 17 ans, je devais tout à coup me débrouiller tout seul, sans mon père, sans ma mère. Ce ne fut pas du tout évident de tenir le coup jusqu’à ce qu’on me propose enfin un vrai contrat professionnel. Mais même aujourd’hui, des tas de choses me turlupinent...

 

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Immense talent débarqué donc de Dakar, il s’est retrouvé dans la jungle bruxelloise, des étoiles plein le coeur, de la froideur minérale tout autour. Le FC Brussels ou plutôt le FC Vermeersch a cru pouvoir se jouer de l’artiste sénégalais, de ce gavroche aérien avec une approche qui frisait le colonialisme paternaliste. En vain. Pourtant, Cheikhou, âgé à peine de dix-huit ans, perdu dans la capitale administrative de la forteresse Europe, n’avait pour ami et soutien dans ces premiers mois de vie en Belgique que Moussa Gueye, âgé de dix-huit ans comme lui. A eux deux, de Schaerbeek ils traversaient Bruxelles tous les jours en tram pour rallier le stade Edmond Machtens à Molenbeek. Longtemps sans le sou avant d’avoir décroché leur contrat, ils durent encore témoigner d’un sens de la débrouille pour survivre après. Car le FC Vermeersch a une approche particulière des obligations contractuelles. Aujourd’hui, Cheikhou Kouyate, quand il se remémore cette époque, parle d’esclavage ! Au grand dam de l’entrepreneur de Ternat qui joue les vierges effarouchées, les présidents bafoués.

 

Cheikhou Kouyate, toujours âgé de dix-huit ans, rappelons-le, reprit alors sa liberté, se moucha dans le contrat fantaisiste griffonné sur deux pages par l’impudent demi-nabab de la rue Malis. Il signa immédiatement au Sporting voisin. Aligné lors de la campagne de préparation au poste de libero, Cheikhou ne parvint à convaincre Ariel Jacobs à cette place. Relégué dans le noyau B, il saisit à pleines mains le challenge d’un prêt à Courtrai où aligné à sa place véritable dans l’entrejeu, il épata la galerie par son aisance doublé d’un engagement physique phénoménal et d’une mentalité phénoménale jamais démentie. Je me rappellerai toujours, mais c’était encore sous les couleurs molenbeekoises, lors de son premier match officiel avec l’équipe première à Westerlo, alors que le Brussels encaissait une tripotée de buts, un seul joueur ne baissa jamais les bras, allant infatigablement récupérer le ballon au fond des filets pour le remettre en joue dans le rond central.

 

A présent, Kouyate est de retour chez les mauves. Malgré un début de championnat perturbé par une blessure au visage qui l’a obligé à porter un masque, « ma copine dit que je suis plus beau avec ce masque que sans » fut la seule plainte qu’il émit.

 

Cheikhou Kouyate ira loin. Il a tout pour lui. Le talent au bout des pieds, la sérénité dans la tête, l’humanité profonde et chaleureuse dans les veines. Que son histoire soit racontée comme une leçon de sagesse à tous les apprentis footballeurs.

 

 

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