Interview Le changement identitaire du RWDM, bonne ou mauvaise chose ? "Il fallait consulter les supporters"
Le RWDM change de nom, de logo et de matricule sur décision de John Textor, sans consulter les supporters. Une transformation controversée, entre ambitions internationales et rejet local. Analyse avec Alexandre De Meeter, expert en marketing sportif.
C'est une nouvelle qui a fait l'effet d'une bombe. Propriétaire d'Eagle Football Group, également détenteur du RWD Molenbeek, John Textor a pris une décision radicale : changer le nom, le logo et le matricule du club, sans la moindre concertation avec les supporters.
Cette annonce a naturellement provoqué une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. Une pétition a rapidement vu le jour et a circulé à travers les différents clubs détenus par Textor, de Botafogo à Lyon, en passant par Crystal Palace.
De nombreux supporters ont exprimé leur désengagement face au retour du matricule 2, certains affirmant même qu’ils ne remettraient plus les pieds dans le stade. Une réaction qui risque de s’avérer contre-productive pour l’homme d’affaires américain, dont l’objectif est justement d’accroître la notoriété du club, notamment en réintroduisant le nom « Bruxelles ». Cette contestation pourrait-elle compromettre ses plans ?
La culture américaine de John Textor est l'opposé de la nôtre
Pour tenter d’y voir plus clair, Walfoot.be s’est entretenu cette semaine avec Alexandre De Meeter, expert en marketing sportif et fondateur de la marque Sportmize, créée en 2014. D’après lui, un élément essentiel à considérer est l’influence de la culture américaine de John Textor, fondamentalement différente de celle qui prévaut en Europe.
"La culture américaine, c'est autre chose. Tu peux prendre une équipe, la faire déménager à Atlanta, Boston ou Milwaukee, elle va toujours trouver du public. Les gens cherchent de l'entertainment, ils ne sont pas vraiment attachés au club. Il vient de cette culture, et on le voit. D'après le communiqué du club, Molenbeek a une mauvaise consonance géopolitique et il a fait la demande de modification. Pourtant, dans le foot, Molenbeek est au contraire une marque très forte", nous explique-t-il.
Le RWD Molenbeek n’est bien sûr pas le premier club à vivre un bouleversement identitaire. Ces dernières années, l’AS Rome a ainsi restauré un ancien logo datant de près d’un siècle, et l’Ajax Amsterdam a également opéré un retour aux sources. Dans la plupart des cas, ces changements se sont faits en douceur, contrairement à l’expérience plus heurtée de la Juventus, dont le nouveau logo avait été largement décrié avant d’être accepté.
🆕 Pour fêter ses 98 ans, l'AS Roma change son logo et revient au blason d'origine ! 🐺
— sᴘᴏʀᴛɪᴍɪᴢᴇ (@Sportimize) June 7, 2025
🔙 Il y a peu, l'Ajax a effectué la même opération, pour le plus grand bonheur de ses supporters.
🟧🟥
📸 #ASRoma | #SportsBiz pic.twitter.com/bqyhCdvKkn
"Celui-ci est aux normes actuelles, comme celui des Clippers en NBA ou du PSG. Il est un peu 'lifestyle', il inclut le nom Bruxelles. Les clubs de football sont généralement associés à leur ville ou commune, mais la marque Bruxelles est plus forte que Molenbeek. Mais les supporters européens sont attachés à leur logo, leur blason. Pour eux, c'est presque un choc de changer une habitude."
"Faire un tel changement sans consulter les supporters et sans base, c'est très dangereux après une saison qui plus est en deçà des attentes. Cela peut-il entraîner de nombreux refus d'abonnement ? C'est l'histoire du club. Être devenu le Brussels via Strombeek, faire faillite, revenir avec Wetteren pour reconstruire le RWDM, tout ça joue. Il y a une impression de ras-le-bol des supporters qui sont baladés depuis 25 ans."
Un manque de consultation qui ne passe pas
Ce qui dérange le plus notre expert, c’est l’absence totale de consultation préalable. Il estime qu’un tel changement aurait dû s’appuyer sur une étude sérieuse, appuyée par des données objectives. Selon lui, il est fondamental d’évaluer l’impact d’une décision avant sa mise en œuvre.
D’autant plus lorsqu’il s’agit d’une transformation aussi symbolique. Dans l’esprit de John Textor, il s’agit de redonner une aura internationale au club, en l’associant au nom de la capitale européenne et en devenant ainsi l’unique club professionnel à l’arborer. Le projet inclut également la récupération d’un matricule chargé d’histoire, celui d’un club quintuple champion de Belgique.
C'est sur les quatre lettres magiques que le club s'est reconstruit, c'est étrange de les jeter"
"Retourner au Daring et au matricule 2, c'est quelque chose qui pourrait plaire aux nostalgiques du football, à ceux qui aiment le foot vintage. Le cas échéant, le RWDM a été reconstruit il y a dix ans. L'un des piliers, avec Thierry Dailly, étaient les quatre lettres magiques, le RWDM, champion en 1975. C'est sur ce blason que le club actuel s'est reconstruit. C'est étrange de les jeter. Dans les fans d'aujourd'hui, un petit pourcentage a bien connu le Daring, mais ils ont tous connu le RWDM."
"Historiquement, le Daring évoluait au Machtens, il sera donc sur sa terre (à supposer qu'il n'en soit pas chassé, car la convention d’occupation qui le lie à la commune pourrait être remise en question en raison de ces bouleversements). Ils pourraient réimplanter le maillot rayé rouge et noir de l'époque, synonyme de folklore sous Bossemans et Coppenolle."
"Ils pourraient réenclencher ça, mais qui de 1973 est encore là ? Ceux qui sont nés avant 1965, donc les plus de 60 ans. Le RWDM a été fondé il y a dix ans sur les ruines du RWDM de l'époque, il y a un double attachement. C'est un pari très dangereux", affirme Alexandre De Meeter.
Une jeune génération à séduire
Un pari très dangereux, mais qui n'est pas à 100 % négatif. Il y a d'abord l'envie de retrouver le folklore d'antan, avec les célèbres duels entre le Daring et l'Union. "C'est d'ailleurs le Daring qui avait brisé la série de l'Union 60", nous rappelle notre expert, mais aussi de ramener un nouveau public, qui ne s'identifie pas toujours aux clubs de la région bruxelloise.
"Bruxelles est une terre qui change beaucoup. Il y a 40 ans, il y avait encore cinq clubs en première division. C'était une terre souvent très fertile, sauf lors des dernières générations. Désormais, après l'Union et Anderlecht, il y a le Daring et le Crossing Schaerbeek qui remonte en D1 ACFF."
"D'un point de vue sportif, le vivier bruxellois revient et c'est un challenge d'activer une jeune génération d'amateurs de football. Ils sont souvent supporters du PSG, du Barça, du Real, mais ils n'ont pas vraiment d'amour pour leur club local. L'enjeu est d'aller captiver ces supporters potentiels."
Je ne pense pas que ce sera aussi dramatique"
Dans l'idée, le changement identitaire prévu par John Textor n'est donc pas une mauvaise idée pour le club de Molenbeek. Mais la manière, très abrupte, en a choqué beaucoup. "Je ne pense pas que ce sera aussi dramatique et que la majorité des supporters ne vont plus y aller. Ils sont tout de même attachés au club, surtout depuis sa remontée en professionnel."
"La fin de saison a été dure, mais beaucoup d'entre eux devraient encourager leurs joueurs sous de nouvelles couleurs", conclut Alexandre De Meeter. Reste à voir ce que cela donnera dans les tribunes du stade Edmond Machtens (?) la saison prochaine.
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