Quelle approche en période de crise ?

Olivier Baute
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Quelle approche en période de crise ?
Photo: © SC

Serge Gehoulet, champion la saison dernière en P2 liégeoise avec Richelle United, ancien membre du staff technique du Sporting de Charleroi et entraineur principal à l'AS Eupen, nous fait le plaisir de partager quelques conseils et astuces qu'il a accumulé durant plus de 20 ans de coaching. Rea

Bien qu'un entraîneur puisse se sentir quelque peu désarmé après un match complètement raté de la part de son équipe, il lui revient d'en analyser objectivement les causes afin d'apporter les bons remèdes d'un point de vue technique, tactique, physique et surtout mental. Jacques Crevoisier, ex-entraîneur national, Docteur en psychologie, consultant (en club et sur Canal+), nous apporte un éclairage. (Par Julien Gourbeyre)

Avant de devenir une référence dans l'approche psychologique du football sous toutes ses formes, Jacques Crevoisier fut un bon joueur de niveau régional.

Quelle approche un entraîneur doit-il avoir au cours de la première séance qui suit une "claque" subie par ses joueurs ?

Poser le problème ainsi me paraît réducteur. Comme si c'était la séance elle-même qui allait trouver une solution à un problème sans doute plus général… La deuxième séance est tout aussi importante que la première et pas plus que celles qui vont suivre !


Mais la première séance est celle qui va faire le lien entre la défaite et les entraînements à venir. C'est elle qui va introduire le travail de la semaine…

Ce qui va faire le lien, c'est d'abord ce qui est dit dans le vestiaire après le match. Des paroles qui nécessitent d'avoir su au préalable replacer la rencontre dans son contexte, en séparant le contenu du résultat.


Qu'entendez-vous par contexte ?

"Est-ce logique ou pas d'avoir perdu ? L'adversaire était-il meilleur ? Pour qui ce match avait-il une plus grande importance ? Quelles sont les conséquences de la défaite, etc… ?". La prise en compte du contexte est un passage obligé avant d'effectuer l'analyse des raisons concrètes de la défaite : "dans quels domaines avons-nous failli ?" Et de s'exprimer devant le groupe…


Analyser avant d'agir, c'est ça ?

Toujours ! Parce que si, d'emblée, on fait une mauvaise analyse… Prenons l'exemple d'un entraîneur après une défaite de son équipe et qui met en cause l'investissement de ses joueurs. Est-ce vraiment et à 100% la raison de la défaite ? On peut aussi perdre contre plus fort que soi, avec une équipe diminuée par les blessures par exemple. Il arrive que les joueurs fassent le maximum et que l'équipe ne gagne pas... Alors choisir de leur rentrer dedans ne me semble pas être nécessairement la meilleure des choses… C'est même un peu trop facile de se dédouaner de la sorte. La responsabilité peut aussi être celle du coach. Tout cela pour dire que ce qui va conditionner la semaine à venir, ce n'est pas la première séance, mais bien les premières secondes qui suivent la fin du match. C'est lorsqu'on rentre dans le vestiaire, que tout le monde regarde ses "godasses" jusqu'à ce qu'on finisse par se retourner, invariablement, vers celui qui est payé pour trouver des solutions : ­l'entraîneur. Qu'est-ce qu'il va dire ? C'est là qu'il faut savoir être pertinent et afficher la bonne attitude.

Comment ?

Soit on ne dit rien, ce qui, bien souvent, en dit plus que de débiter des conneries (sic), soit on discourt dans un registre positif, soit on se donne du temps : "l'heure n'est pas aux grandes déclarations et au bilan, cela viendra en temps utile". Dans tous les cas, cette première attitude va renseigner sur ce qui va se passer derrière. De toute façon, il faudra bien faire un débriefing à un moment donné. Et ne pas en faire après le match, c'est déjà en faire un.


Beaucoup d'entraîneurs, d'éducateurs, commettent l'erreur de réagir de façon épidermique juste après le match…

Ça, il faut bien le souligner, c'est une erreur monumentale ! Laisser l'affectif l'emporter sur tout le reste vous fera perdre du crédit. Sans compter que sous le coup de la colère, votre analyse ne peut être qu'erronée. Vous risquez de dire des choses que vous regretterez. En fait, plus la situation est grave, plus il est important de prendre son temps pour en faire la meilleure analyse possible et différer ses réactions afin de s'affranchir de toute la dimension émotionnelle.

Plus facile à dire qu'à faire…

Je donne souvent ce petit truc très efficace et facilement applicable : rentrez chez vous, prenez une feuille de papier et écrivez les choses que vous voudriez dire à vos joueurs. Puis recommencez le lendemain. Vous aurez presque honte de ce que vous aviez écrit la veille… Puis remettez encore en forme le surlendemain. Vous verrez que vous enlèverez spontanément tout ce qui était outrancier et reviendrez à des choses beaucoup plus intelligentes, raisonnables et efficaces.


Et qui évite, sans doute, de se noyer dans un flux de paroles, à l'effet souvent stérile !

C'est juste. Et comme beaucoup d'entraîneurs ne font pas l'effort de renouveler leur discours, les joueurs savent à l'avance ce qu'ils vont dire ! Ils sont lassés… Je me rappelle ce que m'avait dit un jour Raymond Goethals : "à force de t'entendre, les joueurs ne t'écoutent plus. Alors fais parler ton adjoint, et tu verras que lorsque tu reprendras la parole, ils seront tout ouïe".


En résumé, la première chose à faire après une lourde défaite est d'effectuer la bonne analyse, ce qui exclut toute forme de réaction à chaud. Mais ensuite ?

Il faut changer quelque chose. C'est un premier principe à respecter. Et mettre un peu plus de rigueur partout, en insistant sur les comportements. On peut fermer les yeux, de temps en temps, sur des attitudes individualistes lorsque l'équipe est sur une bonne série. En revanche, quand ça va mal, il ne faut rien laisser passer, faire preuve d'une intransigeance maximale !


Changer quelque chose, mais dans quel domaine ?

Tout dépend de l'analyse qui a été faite. Toujours est-il que lorsque cela ne fonctionne pas, c'est qu'on s'est trompé, que ce soit dans la composition d'équipe, le choix tactique, l'animation, la communication, le travail quotidien, l'exigence ou, plus grave, le recrutement. Là, je ne parle pas d'un seul match perdu, une défaite fait partie des choses logiques en football. La défaite dont je parle ici est celle qui vient s'ajouter à une mauvaise série, qui arrive en point d'orgue d'une situation périlleuse, notamment pour l'entraîneur qui risque de se faire virer.

Cela dit, après une seule défaite, mais dont le contenu a été catastrophique, n'est-il pas conseillé, sans dire de tout révolutionner, d'apporter aussi du changement ?

Oui, à condition d'avoir su faire le distinguo entre la défaite plausible, acceptable, et celle qui ne l'est pas. Si Lyon perd à domicile contre Arles-Avignon, ce n'est pas la même chose que de s'incliner contre Marseille, par exemple. Après, pour répondre plus précisément à la question, je dirais que faire de nouveau confiance aux mêmes joueurs le week-end suivant s'avère être généralement une bonne solution. La notion de joker individuel ou collectif est essentielle. On ne peut pas condamner après une seule mauvaise performance sinon on changerait tout le temps !


La confiance, d'accord, mais jusqu'où ?

C'est à l'entraîneur de le déterminer. Je vais vous raconter une anecdote. En 2002 à Liverpool avec Gérard Houllier (dont il était l'adjoint, Ndlr), nous nous sommes déplacés à Middlesbrough dans la peau du leader avec 5 points d'avance sur Manchester. Nous restions sur une série de 13 matches sans défaite. Il nous suffisait de faire un nul pour battre le record absolu du meilleur départ en Première League ! Ce qu'on était sur le point de réaliser jusqu'à la dernière seconde du match où Dudek (gardien international polonais, actuelle doublure de Casillas au Real, Ndlr) commet une grossière erreur. On perd 1-0... Le match suivant, Dudek se troue encore. Avec Gérard (Houllier, Ndlr), on a choisi malgré tout de le maintenir au poste. Si on donne un joker à un joueur de champ, il faut en donner deux à un gardien. Sauf que nous, nous avons eu tort de lui en donner trois… Car derrière, on fait une série de 11 matches sans victoires ! La perte de confiance de Dudek avait fini par contaminer la défense et affecté l'ensemble du groupe. Il nous a fallu beaucoup de temps pour revenir sur le droit chemin. Vous voyez le poids d'une décision… L'entraîneur doit avoir du pif. Sur ce coup-là, nous, on ne l'a pas eu. Toujours est-il que cette idée de joker reste fondamentale.

Le maintien de la confiance après une seule défaite est une réponse souvent contraire à celle, plus générique, qui consiste à trancher dans le vif dans le choix des joueurs, à leur crier dessus et à décréter que "puisque c'est comme ça, on va travailler encore plus dur…"

Et pourtant ça n'a pas de sens ! Si, à un moment donné, l'entraîneur met plus de physique dans la semaine, c'est parce qu'il en manquait. Donc le responsable, c'est lui ! Quant au fait, là encore, de hurler sur ses joueurs, cela revient généralement à se dédouaner de ses propres insuffisances. Or, la crédibilité que l'on a vis-à-vis de son groupe se joue dans l'unité constante que l'on entretient dans les victoires, mais surtout dans les défaites. Il ne faut jamais être aussi solidaire de ses joueurs que lorsqu'on a perdu. Les incompétents ne sont solidaires que dans le succès.


Reste que la frontière entre solidarité et inaction semble mince…

Être solidaire ne veut pas dire qu'il faut tout pardonner. Le rôle de l'entraîneur est de maintenir l'exigence. Alors, il peut arriver que des séances punitives soient salutaires. Des joueurs qui savent qu'ils n'ont pas donné le maximum au point d'avoir essuyé une défaite "non acceptable" comprendront que vous leur imposiez une grosse séance où ils ne touchent pas le ballon et où vous ne leur adressez quasiment pas la parole… Tout est une question de bonne évaluation de la contre-performance à la fois sur le plan individuel et collectif. On en revient ici au propos initial.


En définitive, on met souvent l'accent sur la technique, la tactique et le physique, alors que les réponses appartiennent souvent au domaine mental, au management…

Effectivement, la communication est très importante. Je ne supporte pas d'entendre dire : "ce match-là, il est interdit de le perdre" ou alors "c'est un tournant décisif qu'il ne faut pas manquer", etc…. Parce que si vous le perdez, vous direz quoi à vos joueurs ? Que finalement, c'est le prochain qui était vraiment important ?! Les entraîneurs qui sont en difficulté avec leur équipe ont toujours l'impression que le fait de dramatiser la rencontre à venir les aidera à obtenir un bon résultat. Le match de la dernière chance, c'est à la 38e journée lorsqu'il vous manque deux points pour vous maintenir. Là d'accord, c'est mathématique.


Quand, à la fin des matches aller, la crise sportive est telle qu'on a déjà perdu quasiment tout espoir de se maintenir comme Arles-Avignon cette saison ou Grenoble l'an dernier, que peut-on dire à ses joueurs pour les maintenir connectés ?

Positiver en repartant sur un autre projet. Dire aux joueurs : il y a deux intérêts, le vôtre et celui du club. Le vôtre, c'est de donner la meilleure image possible de vous-même pour pouvoir rebondir. C'est aussi une question de dignité et de fierté collective. Les anciens, si vous jouez le jeu, on vous garde l'année prochaine en Ligue 2. Prolonger les joueurs lorsque le club est en mauvaise posture me paraît être la meilleure chose qui soit.

Cela ne se passe jamais comme ça…

Oui, malheureusement. Il arrive fréquemment que des entraîneurs communiquent de façon grossière jusqu'à perdre de la crédibilité auprès de leur groupe. On ne peut pas invoquer indéfiniment la malchance et les erreurs d'arbitrage ! A un moment donné, l'entraîneur qui agit ainsi ne croit plus à son propre discours. Il ne risque pas de convaincre les autres...


Vous voulez dire qu'il faut parfois accepter la relégation et axer ses efforts ainsi que son discours sur un nouvel objectif ?

Oui. Un entraîneur doit être capable d'adapter ses objectifs. Préparer la saison suivante lorsque la situation est quasiment désespérée, en intégrant ceux qui représentent l'avenir du club, me paraît être une bonne chose. C'est mieux en tout cas que de descendre deux années de suite ! Les objectifs, c'est fluctuant. On les définit en début d'année puis on les adapte en fonction de l'évolution de la saison, de façon à ce qu'ils deviennent de nouveau atteignables.


Quand vous parlez de soigner la communication, c'est aussi la favoriser au sein du vestiaire, n'est-ce pas ?

Oui, bien-sûr. Il faut évacuer les non-dits et encourager les leaders à jouer leur rôle. Quand vous prenez un but et que le gars regarde ses pompes en se disant "c'est la faute à l'autre c…" et que l'autre c... pense la même chose, vous n'êtes pas sorti de l'auberge (rires). Il vaut mieux que les mecs s'engueulent, s'expliquent jusqu'à trouver une issue pour aller de l'avant. J'ajouterais qu'il faut être sans concession dans l'analyse, y compris avec ses cadres. Or, surtout en amateur, on fait souvent l'inverse : on crie sur les faibles et sur les jeunes, pas sur les vieux et les leaders.


En conclusion, quel dernier conseil donneriez-vous à un entraîneur qui rencontre des difficultés à la tête de son équipe ?

Une fois qu'ils ont bien analysé et changé quelque chose, à eux de ne pas lâcher en espérant que le match référence arrive le plus tôt possible. En attendant, il faut dédramatiser et remettre de la vie à l'entraînement. Faire rire les joueurs à travers des exercices ludiques, par exemple. Houllier était très fort pour ça. Ce n'est pas se ficher du résultat, bien au contraire, c'est aider les joueurs à relever la tête pour faire face.


C'est aussi mettre toutes les chances de son côté pour ne pas avoir de regret en cas d'échec…

Sans oublier de se remettre en cause ! Beaucoup d'entraîneurs refusent leur responsabilité du fait qu'ils travaillent beaucoup. Parce qu'ils arrivent au stade à 8 heures du matin et en repartent à 20 heures, ils ne conçoivent pas qu'on puisse les remettre en cause. Or, s'il suffisait de se donner à fond, on dormirait sur place et on travaillerait la nuit pour gagner des matches ! Ce n'est pas la solution. La clé, c'est réussir à faire progresser son équipe, tirer le maximum de ses joueurs et maintenir une harmonie dans le groupe. Alors : travailler plus, peut-être, travailler mieux, assurément. Et pour travailler mieux en situation de crise, il faut avoir fait en amont le bon diagnostic. Après ça, si les joueurs se montrent irréprochables dans leur investissement et proposent un contenu intéressant en match, ils auront beau perdre, les motifs d'espérer seront réels.


JACQUES CREVOISIER

Sportez-vous bien ! A  la semaine prochaine….

Serge Gehoulet

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