De bourreau du Real à la guerre, la vraie : quand le prochain adversaire d'Anderlecht perdait son coach, parti au front
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Bourreau du Real Madrid en Ligue des Champions lors de la saison 2021-2022, Yuriy Vernydub rejoignait, cinq mois plus tard, le front ukrainien. Quand le futur adversaire d'Anderlecht perdait son coach, parti se battre pour son pays.
Du côté d’Anderlecht, affronter le Sheriff Tiraspol rend tout le monde nerveux : si les Mauves ne parviennent pas à passer contre un club moldave, à quoi bon postuler pour le football européen ?
Mais attention tout de même, le Sheriff a réussi quelques coups fumants en Europe ces dernières saisons. Et même si la double défaite contre le FC Utrecht (2-7 sur l’ensemble des deux matchs) montre que l’équipe n’a rien d’un épouvantail des préliminaires, le club a tout de même connu ses heures de gloire.
Quand le Sheriff s'imposait au Real Madrid
Lors de la saison 2021/2022, le Sheriff a passé quatre tours préliminaires pour se qualifier pour la Ligue des champions. Et il y a réussi un exploit retentissant en battant le Real Madrid, à Madrid (1-2). Sur le banc ce soir-là, l’entraîneur ukrainien Yuriy Vernydub était au sommet de son art. Mais son destin allait bientôt chavirer.
Cinq mois plus tard, sa vie — et celle de tous les Ukrainiens — bascule avec l’invasion russe. Vernydub a beau ne pas être présent au pays cette nuit-là, il s’en souvient comme si c’était hier. Ce jeudi 24 février 2022, Vernydub est à Braga avec son équipe. Le Sheriff a remporté le match aller 2-0 face aux Portugais et vient défendre son avantage.
Alors qu’il dort tranquillement, son téléphone sonne au beau milieu de la nuit. C’est son fils au bout du fil, la voix chevrotante. La guerre a commencé. Les bombardements prennent tout le monde de court. Youri Vernydub ne met pas longtemps à trancher : il ira défendre son pays au front.
De bourreau du Real à la guerre en Ukraine
Il prend tout de même place sur le banc contre Braga ; le Sheriff s’incline 2-0 et prend la porte aux tirs au but. Une peine bien dérisoire comparée à ce qui se joue à 3 000 kilomètres de là.
"Ce genre de jour est impossible à oublier. Il divise votre vie en un avant et un après. Je devais être chez moi pour défendre mon pays et ma famille. Je n’ai pas hésité une seconde. Sous le choc ou non, un homme doit agir dans une telle situation. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire pendant que mon pays brûlait", explique l’entraîneur à L’Équipe.
Je ne pouvais pas rester là sans rien faire pendant que mon pays brûlait"
Un signal fort à Tiraspol, chef-lieu de la Transnistrie, une province sous domination russe. Du jour au lendemain, Vernydub abandonne le confort et la gloire pour se battre aux côtés des siens. Il avait pourtant donné son accord pour une prolongation de contrat avec le club moldave quelques semaines plus tôt. Sa vie, avec sa femme et ses enfants, semblait s’écrire à Tiraspol, mais la guerre a tout fait basculer.
De retour en Moldavie après l’élimination à Braga, il monte dans un car, direction Odessa, puis Zaporijjia, dans l’est du pays, et laisse tout derrière lui. "Ma femme et mes enfants m’ont soutenu, le président du Sheriff m’a compris. Je suis allé au bureau militaire, j’ai dit que je voulais servir", assure-t-il dans son entretien avec le quotidien français. Avant cela, sa seule expérience militaire se résumait à son service obligatoire de deux ans au milieu des années 1980.
Youri Vernydub devient responsable de la réception, de la préparation et de la livraison de munitions pour une unité d’artillerie dans la région de Dnipro. Il est ensuite transféré dans une unité de sécurité, avec le même spectacle "traumatisant" au quotidien. "Il n’y a aucune honte à avoir peur, mais un homme doit lutter contre cette peur. Nous en parlerons après notre victoire et une paix durable."

Alors qu’il ne pensait pas revenir dans le monde du football avant la fin de la guerre, il contacte Kostyantyn Karamanits, le président de Kryvbas (D1 ukrainienne), car l’armée manque de carburant. L’homme fort du club est aussi le patron d’une société minière qui consacre son temps libre à aider les troupes au front.
Il se voit proposer le poste d’entraîneur principal de l’équipe, en juin 2022, mais répond que seul un ordre militaire pourrait le faire venir. Une semaine plus tard, contre toute attente, un officier lui annonce son transfert à Kryvyï Rih, une ville située à 100 kilomètres du front, dotée de plusieurs lignes de défense pour protéger la centrale nucléaire de Zaporijjia. Le coach enchaîne alors les entraînements et les missions militaires, chaque jour.
Un match de... 228 jours contre le Shaktar Donetsk
Tout le temps, les entraînements et les matchs sont interrompus. Une rencontre face au Shakhtar Donetsk a d’ailleurs mis… 228 jours à aller jusqu’à son terme, en raison d’alertes répétées. "On joue jusqu’à 22 heures, heure du couvre-feu, mais il faut parfois s’arrêter avant et reprendre un autre jour. On s’est malheureusement habitués, le stade a de bons abris et tout est fait pour se concentrer autant que possible sur le foot."
Une fois la saison terminée, au mois de mai dernier, avec une belle cinquième place, Youri Vernydub a décidé de ne pas rempiler sur le banc de Kryvbas. Il est, en revanche, toujours au front — et toujours aussi déterminé. "Nous n’avons qu’une Ukraine et nous la défendrons même seuls. Mon rêve est d’entraîner à nouveau dans un stade rempli de supporters, célébrant nos succès, nous soutenant dans les défaites." Sans missiles, sans sirènes. Juste du football.
Depuis cette année 2022, c'est le Moldave Victor Mihailov qui est à la tête du Sheriff Tiraspol. Entraîneur assistant du club depuis 2014 et intérimaire à chaque changement de coach, il a donc très bien connu Youri Vernydub et s'inspirera probablement de ses principes pour rééditer de grands exploits européens.
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